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Alexandra

Comme je vous l’ai déjà dit, j’ai exercé pendant 10 ans en institution auprès d’enfants polyhandicapés. 10 années durant lesquelles j’ai été confronté au handicap, à la douleur, aux corps déformés, aux détresses respiratoires, aux crises d’épilepsie mais surtout aux sourires, à la force, au courage et à l’amour.

Lorsque j’ai commencé à faire ce métier et que je suis entré dans l’institution, la première personne que j’ai vu a été Alexandra. Je pensais faire mon premier stage dans un Insitut Médico Educatif (auprès d’enfants porteurs d’handicaps légers) mais je suis arrivée auprès d’enfants lourdement handicapés et je n’avais que quelques connaissances sur le handicap moteur.

Alexandra était recroquevillée dans un pouf auprès de ses camarades, elle serrait fort contre elle un énorme chien en peluche, elle semblait si fragile, si petite. Je me suis approchée d’elle pour la saluer, elle ne m’a pas regardé, elle n’a pas levée la tête, n’a pas bougé. J’apprenais alors qu’elle était sourde et malvoyante mais qu’elle réagissait au toucher et à l’odorat. J’ai alors mis doucement ma main sur sa petite jambe et elle a levé la tête comme pour sentir ma présence.

Alexandra marchait avec difficultés, mangeait avec difficultés mais savait très bien se faire comprendre, exprimer son désaccord ou son accord, ses joies comme ses douleurs. Elle était aussi forte et têtue que douce et fragile.

Je l’ai donc connu lors de mon premier stage en 2009 puis l’ai retrouvé lors de mon premier poste en 2012 puis dans un autre établissement en 2016. A chacun de mes départs, je me demandais ce qu’elle allait devenir, comment son handicap allait évoluer, elle a d’abord de moins en moins réussi à se déplacer puis à avoir des épisodes où elle ne mangeait pas pour ensuite passer par des moments où elle avait un appétit d’ogresse. Avec elle c’était les montagnes russes, elle m’a tellement appris sur le handicap, sur ce que ‘l’on pense acquis, sur l’adaptation…

Lorsque je l’ai retrouvé en 2016, j’étais soulagée de la voir, je savais qu’elle avait déjà dépassé l’âge que les médecins avaient « pronostiqué », une fois encore elle nous montrait que rien n’était acquis…

Elle est décédée en mai 2017, son départ a été difficile à vivre…Je voyais Alexandra comme une survivante, elle avait montré tellement de force, elle avait si souvent déjoué les pronostics qu’elle ne pouvait pas disparaître, ce petit bout de femme ne pouvait pas arrêter de se battre.

J’ai été en colère, triste, puis je me suis rendue compte que le lien que nous avions crée ne devait pas être teinté de noir, qu’elle, que sa maman aimait tant habiller comme une petite princesse, n’aurait certainement pas voulu que l’on soit triste mais que je ne garde que l’amour qu’elle avait apporté.

Pendant ma formation, mes années d’exercice, j’ai souvent eu en tête, d’autres professionnels m’ont souvent rappelé, l’importance du lien éducatif, de la juste distance…Je n’ai, je crois, jamais réussi à toucher du doigt cette juste distance. Comment aurais-je pu créer du lien avec Alexandra et les autres en gardant de la distance? Comment aurais-je pu l’accompagner au mieux sans avoir de sentiment? Comment peut-on nous demander de nous occuper tous les jours, dans des soins du quotidien, de personnes fragiles, dépendantes, vulnérables sans vouloir faire au mieux, sans s’attacher, sans y mettre nos émotions, notre personnalité?

Alexandra est la première personne dont je me suis occupée à être décédée, il y a eu d’autres, d’autre qui m’ont à chaque fois remis en question sur ma place, sur mes émotions, sur ma façon de travailler.

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