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Les familles et l’institution

Cet article a pour but de livrer encore une fois de façon brute mon ressenti, je ne juge aucunement…Je relate mon vécu, ce que j’ai pu voir, percevoir pour peut être faire avancer les choses et expliquer pourquoi j’ai choisi de ne plus travailler en institution…

Exercer en tant qu’éducatrice spécialisée en institution auprès d’enfants polyhandicapés signifient les accompagner au quotidien, mettre en place des projets de vie. Ce projet se fait en lien avec les familles que nous rencontrons au moins une fois par an et ponctuellement à leur demande ou à la nôtre.

Ces familles, au début de la prise en charge de leur enfant dans l’établissement, déposent leur enfant le matin, le récupèrent le soir et ce, tous les jours, comme chaque parent le fait avec son enfant pour l’école. L’équipe et donc le référent de l’enfant, c’est à dire moi, peut alors échanger sur la nuit de l’enfant puis de sa journée. Pourtant très vite, l’institution propose la mise en place d’un transport pour éviter aux parents de faire les trajets, ceux-ci acceptent puisque cela semble être dans les habitudes de l’institution. La communication avec l’équipe ne se fait plus de manière orale mais par le biais d’un cahier de liaison ou parfois lors d’un appel.

Quelle place donne l’institution aux parents? Comment se retrouvent-ils malgré eux dans une situation où nous ne pouvons plus les rencontrer? Comment les familles peuvent-elles nous dire ce qu’elles ont sur le cœur si nous ne pouvons communiquer, se rencontrer et travailler en partenariat avec elles.?

Lorsque j’ai émis l’hypothèse que si l’enfant était en souffrance c’était en lien avec la souffrance des parents, certains collègues m’ont répondu « tu t’occupes de l’enfant pas de ses parents »…Sujet clos pour certains mais pas pour moi! J’avais choisi de travailler en institution après mon stage long en CAMSP justement pour retrouver le lien que j’avais avec les familles, pour être au plus près d’elles pour leur confort et celui de leur enfant. On me remettait à une place d’exécutant et non plus de « personne qui met du sens dans ses actions »…comme j’avais cru l’apprendre lors de ma formation. Le but même de mon métier est de me poser des questions, de réfléchir avant d’agir, d’inclure les parents dans mon travail…

Comment les familles peuvent-elles nous faire confiance si nous ne les laissons pas rentrer un tant soit peu dans l’institution? Selon moi, l’institution, le système leur demande de déléguer leur place, leur fonction…leur demande de nous laisser faire puisque nous sommes les professionnels, ceux qui détiennent le savoir…Comment pouvons-nous mieux savoir que les parents ce qui est bon pour l’enfant? En ayant accompagner plusieurs autres enfants singuliers, forcément différent de LEUR enfant? En ayant lu des théories et participé à des formations sur le polyhandicap? En cochant des cases sur des fiches de soin ou en réfléchissant à des activités pour remplir des plannings?

Accompagner des enfants fragiles demande de se remettre sans cesse en question, de prendre du recul mais de rester humain quoi qu’il arrive…Les accompagnements se font jusqu’à ce que l’enfant quitte l’établissement pour une institution pour adultes ou décède…Lors de ce moment difficile, nous soutenons les familles mais après? Qu’en est-il du suivi après la perte de leur enfant? Les parents se retrouvent seuls, certains m’ont dit qu’ils avaient un sentiment de liberté empoisonné : ils ont passé toute la vie de leur enfant à s’occuper de lui, à en prendre soin, à enchaîner les rendez-vous médicaux et un jour tout s’arrête…Que leur reste-t-il? Y a t-il des suivis, des soutiens pour ces parents endeuillés?

Tous ces questionnements sur l’accompagnement, le suivi des enfants et de leurs parents m’ont suivi pendant presque 10 ans…Un jour, je me suis rappelé pourquoi j’avais choisi de travailler en institution: pour créer du lien…Je ne retrouvais plus ce pour quoi j’avais choisi d’être éducatrice spécialisée…Je faisais mon travail machinalement sans me poser de questions…j’ai alors pris la décision, non facile, de partir, après un burn out, une année sabbatique, j’ai démissionné…

Aujourd’hui, j’ai créé des groupes de parole pour ces parents, pour les parents que je n’ai pas assez rencontré, ceux que j’ai croisé entre 2 portes, ceux qui auraient voulu échangé mais je n’avais pas le temps car prise dans un quotidien…

Aujourd’hui, je souhaite que ces parents se retrouvent, me retrouvent et qu’ensemble nous tissions des liens durables. Je souhaite qu’ils aient un espace où lâcher tout ce qu’ils ont sur le cœur, sur le quotidien, les accompagnements, la fratrie, leurs rôles et fonctions. J’espère qu’ils pourront se dire qu’ils ont enfin trouvé un endroit où ils sont entendus, compris et pas seulement par compassion…

Une maman m’a dit récemment que ce n’était pas un projet de vie qu’il fallait créer pour sa fille mais que c’était une mission de vie. Pour moi, elle a résumé, elle a mis le doigt sur ce que représente la vie avec un enfant handicapé: une mission…J’aimerais que cette mission soit moins lourde à porter, que cette mission soit partagée à plusieurs…

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